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La santé et la sécurité du travail

Meilleures méthodes, meilleurs résultats

Larry Wilson

Par Larry Wilson. Traduit de l’anglais. La version originale a paru dans Occupational Health & Safety Magazine en juin 2000.

 

Les employés ont besoin d’un élément de motivation et d’un milieu qui leur donnent l’occasion de réfléchir à leurs propres expériences, professionnelles et autres.

Des milliers de sociétés ont réussi à instaurer un processus de sécurité basé sur le comportement, mais cela ne s’est pas toujours fait sans difficulté. La sécurité axée sur le comportement présente en réalité trois inconvénients : l’obtention de résultats significatifs prend du temps; lancer le processus coûte cher; l’observation des comportements peut engendrer des conflits lorsque ces comportements sont interdits par les règlements. À moins que l’on ne parvienne à éliminer ces obstacles, la sécurité axée sur le comportement ne deviendra probablement jamais le principal moyen de réduire les blessures accidentelles sur le lieu de travail, même si on lui a accordé énormément d’attention au cours de la dernière décennie.

Meilleures méthodes, meilleurs résultats

Figure 1

Pourquoi ces sociétés se sont-elles souciées de la sécurité axée sur le comportement? Parce que celles qui l’ont instaurée correctement et ont pu maintenir le cap pendant trois à cinq ans ont obtenu des résultats spectaculaires. Les accidents et les blessures ont diminué dans ces entreprises et le moral s’est amélioré. Il n’est pas rare de voir le taux de blessures baisser de 30 à 50 p. cent dans une société, au cours des deux premières années, et de 50 à 90 p. cent sur une période de cinq ans. En outre, on a constaté que, dans ces sociétés, la culture de la sécurité avait changé et que la participation et l’engagement avaient augmenté. Au cours de la troisième ou de la quatrième année, les employés s’étaient sensibilisés aux comportements critiques en dehors du travail et au volant de leur véhicule.

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« Rares seront les personnes qui accepteront d’émettre des observations si ces observations risquent d’entraîner des mesures disciplinaires contre quelqu’un. En réalité, ces appréhensions expliquent en partie la nécessité de trouver un bon conseiller pour lancer le processus. »

Qui refuserait des taux d’accidents parmi les plus bas du monde, une culture positive de la sécurité, un bon moral, une participation et un engagement enthousiastes des employés, qui présentent aussi un meilleur dossier de sécurité en dehors du travail?

Le processus de la sécurité axée sur le comportement n’est pas une science exacte. Il commence par une analyse de Pareto¹ portant sur les données recueillies lors des enquêtes d’accidents pendant cinq ans, afin de déterminer les comportements (ou les facteurs) qui ont contribué aux accidents dans 85 à 95 p. cent des cas. On compte, dans la plupart des sociétés, 10 à 20 de ces « comportements critiques » (voir figure 1 ). Des observateurs spécialement formés interviennent ensuite pour faire des observations positives et rendre compte de manière constructive des situations observées; si cette tâche est correctement exécutée, il est probable que ces comportements critiques se changeront en comportements sécuritaires. On consigne les observations et on suit la progression du pourcentage d’observations sécuritaires; à mesure que celui-ci augmente, les blessures diminuent, parfois de manière impressionnante.

 

Raisons pour lesquelles la réussite prend du temps et… de l’argent

Instaurer le processus de la sécurité axée sur le comportement prend du temps; il faut s’y engager pendant au moins trois ans, et tout le monde n’a pas la patience de maintenir ce cap assez longtemps pour récolter les fruits de son effort. Une des raisons pour lesquelles le processus est si lent, c’est qu’en dehors des observations, peu de personnes participent réellement au processus de changement.

Pour que le processus réussisse, il faut disposer d’observateurs compétents, capables de rendre compte efficacement de leurs observations. Par leurs observations et à force de répétitions, ils transformeront les comportements critiques en comportements sécuritaires, par la « force de l’habitude », c’est-à-dire qu’ils amèneront l’employé à adopter un comportement sécuritaire, même s’il ne pense pas au risque. Mais faire du comportement sécuritaire une habitude à force de répétitions demande du temps.

Pour mettre en application les principes de la sécurité axée sur le comportement, il faut normalement que 10 à 15  p. cent des effectifs aient reçu une formation d’observateur. La plupart du temps, un observateur effectue une ou deux observations par semaine, ce qui revient à dire qu’en moyenne, chaque employé peut s’attendre à être observé une fois toutes les quatre à six semaines. Une observation prend environ 10 minutes. Cinq à dix minutes par mois ne suffisent pas à modifier notablement et rapidement le comportement d’un employé.

Les frais que nécessite la mise en route du processus de la sécurité axée sur le comportement constituent un deuxième désavantage. Les conseillers coûtent cher et les bons conseillers coûtent très cher. Néanmoins, on fait souvent appel à leurs services, car ils connaissent le processus sur le bout du doigt. Ils connaissent les erreurs qui sont commises le plus fréquemment et savent comment transformer une attitude négative en une attitude positive. Ils savent comment s’y prendre pour focaliser l’attention des employés sur les points importants. Certains trouveront cependant qu’on ferait un meilleur emploi de ces sommes si on les utilisait pour éliminer des conditions dangereuses ou pour améliorer l’ergonomie de certains postes de travail. La pertinence de ce point de vue dépend de ce qui a ou n’a pas été réalisé auparavant.

Finalement, on peut créer des situations conflictuelles en mélangeant l’observation de la violation de certaines règles et les mesures disciplinaires y afférentes. Bien que tous ceux qui travaillent dans le domaine de la sécurité axée sur le comportement insistent sur la nécessité d’exclure la discipline des observations, il n’empêche que les employés craignent que la sécurité axée sur le comportement ne soit le prolongement de la structure disciplinaire existante. Rares seront les personnes qui accepteront d’émettre des observations si ces observations risquent d’entraîner des mesures disciplinaires contre quelqu’un. En réalité, ces appréhensions expliquent en partie la nécessité de trouver un bon conseiller pour lancer le processus. Mais les considérations sur les dépenses liées à l’utilisation de bons conseillers nous ramènent au deuxième inconvénient : « Ces sommes ne seraient-elles pas mieux utilisées ailleurs? ».

Vous pourriez choisir d’ignorer l’aspect de la sécurité lié au comportement et nier son existence. Mais ce serait nier l’évidence. Réfléchissez à ce qui se passe lorsque vous êtes au volant.

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« En effet, s’ils ne regardent pas ce qu’ils font et s’ils n’y pensent pas, la formation la plus poussée du monde ne leur servira à rien. »

On estime que plus de 90 p. cent des accidents de la route ne sont pas causés par les conditions atmosphériques, l’état des routes ou l’état mécanique de la voiture, mais par les conducteurs eux-mêmes et les erreurs de conduite. Le terme « erreur de conduite » n’implique pas que le conducteur a provoqué l’accident ni qu’il faut le blâmer, car après tout, qui cherche à se retrouver à l’hôpital pour avoir grillé un feu rouge? L’« erreur de conduite » concerne plutôt les fautes involontaires et les mauvaises habitudes. Si on réévaluait la situation de toutes les intersections dangereuses, sans inculquer parallèlement à chaque conducteur des notions de conduite préventive, le programme de réduction des blessures et des décès sur les routes perdrait beaucoup de son efficacité.

Le lieu de travail peut paraître différent parce qu’il est devenu plus facile d’y contrôler les risques. Mais, comme dans le cas de l’autoroute, il est impossible de prévenir simultanément tous les dangers. Si vous essayez d’éliminer toutes les conditions dangereuses sans faire comprendre simultanément aux travailleurs qu’ils jouent un rôle capital dans leur propre sécurité, votre programme de réduction des accidents et des blessures sur le lieu de travail perdra, lui aussi, beaucoup de son efficacité.

 

Obtenir de meilleurs résultats

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« Il faut dire aux employés de « vérifier ce qu’ils font et de réfléchir à ce qu’ils font, de manière à ne pas se blesser », mais ce n’est pas ce qui les aidera le plus. Ils ont besoin d’une motivation qui les pousse à décider eux-mêmes d’adopter cette ligne de conduite. »

Est-il possible de réduire ou d’éliminer les inconvénients du processus traditionnel de la sécurité axée sur le comportement de manière à ce que chaque milieu de travail ne profite que des avantages de ce processus, et surtout d’une plus grande sensibilité aux comportements critiques? Mais oui, certainement! En intégrant de nouvelles idées et de nouvelles techniques dans le processus de la sécurité axée sur le comportement, on peut éliminer les inconvénients ou les réduire au minimum. Voici un aperçu des mesures à prendre pour atteindre ce résultat :

1. Commencez par l’analyse de Pareto de vos comportements critiques. Vous constaterez que votre liste comprendra un groupe de comportements critiques – appelés aussi erreurs critiques lorsque le comportement n’est pas sécuritaire – quel que soit le type d’industrie de votre société. Ce sont :

  • L’inattention du regard
  • La distraction
  • La ligne de tir (entrer dans la ligne de tir ou s’y trouver)
  • La perte d’équilibre / d’adhérence / de prise.

Il est intéressant de constater que ce sont là des comportements à risque involontaires, qui n’entraînent aucune entorse aux règlements ou à la discipline. En changeant la façon de considérer les conséquences on peut arriver à changer les comportements s’ils sont volontaires. Mais comment apprendre aux gens à commettre moins d’erreurs si ce sont des erreurs qu’ils n’ont jamais eu l’intention de commettre? Il faut innover, à moins d’être disposé à attendre que la méthode de l’observation et des répétitions porte ses fruits.

2. Sachez qu’une erreur est presque toujours précédée tout au moins d’un état (un facteur humain) permettant de la prévoir. Vous recevrez des conseils utiles à ce sujet si vous interrogez des travailleurs qui ne se sont jamais blessés alors qu’ils travaillent depuis plus de 20 ans dans des endroits à très haut risque (au sein de sociétés dont la fréquence des blessures enregistrables dépasse 100 p. cent). Si vous leur demandez par quel moyen ils ont évité les blessures, ils vous répondront le plus souvent qu’ils ont évité « la précipitation ». D’autres diront qu’ils ont « veillé à prendre suffisamment de repos et à ne pas travailler lorsqu’ils se sentaient frustrés ou contrariés ». Même s’ils n’en parlent pas ouvertement, certains auront pris des mesures pour ne pas pécher par « excès de confiance ». En d’autres termes, ils ont tous tenu compte du fait qu’un des états suivants risquait de leur faire commettre une erreur critique

  • La précipitation
  • La frustration
  • La fatigue
  • L’excès de confiance.

3. Dès le début, formez tous les employés à l’esprit du « modèle de l’état d’erreur ». Il est important d’expliquer le processus de la sécurité axée sur le comportement. Les employés doivent comprendre la nécessité de participer au processus, qu’on les observe ou non. Ils doivent aussi comprendre que le principe de la sécurité axée sur le comportement ne s’applique pas qu’au travail, mais aussi en dehors du travail et lorsqu’on est au volant de sa voiture. Comment s’y prendre pour inculquer profondément ce principe afin que les employés en tirent le meilleur profit? La formation que cet objectif suppose va bien au-delà de la simple information. Il faut dire aux employés de « vérifier ce qu’ils font et de réfléchir à ce qu’ils font, de manière à ne pas se blesser », mais ce n’est pas ce qui les aidera le plus. Ils ont besoin d’une motivation qui les pousse à décider eux-mêmes d’adopter cette ligne de conduite. Ils doivent se trouver dans un milieu qui leur donne l’occasion de réfléchir aux expériences qu’ils ont vécues au travail, en dehors du travail et au volant de leur voiture.

Ils doivent se demander s’ils ont jamais subi une blessure sérieuse sans qu’un de ces quatre états n’ait contribué à une de ces quatre erreurs. Rares sont ceux qui peuvent se targuer d’avoir subi une blessure personnelle où ces modèles n’avaient aucune part. (Et vous?).

4. Donnez aux employés les outils nécessaires pour réduire au minimum le risque de commettre une erreur critique. Montrez-leur comment réagir à chacun des états et comment utiliser ceux-ci comme catalyseurs pour éviter de commettre une erreur critique qui augmenterait le risque d’entrer en contact avec une forme d’énergie dangereuse. Expliquezleur qu’ils ont intérêt à observer les autres afin de découvrir ces « modèles d’états d’erreur », ce qui leur permettra de combattre l’excès de confiance et de prendre davantage conscience de leur propre sécurité. Aidez-les à analyser les chaudes alertes qui se sont traduites par des bosses ou des chocs mineurs (les yeux n’étaient pas fixés sur le travail), afin qu’ils n’aient pas à analyser des alertes majeures.

Ils deviendront plus conscients de l’état dans lequel ils se trouvaient ou de l’habitude qu’ils avaient prise (tourner le corps avant les yeux par exemple) et qui a contribué à leur faire commettre une erreur. Finalement, montrez-leur qu’il est important d’acquérir de bonnes habitudes physiques (tester l’adhérence au sol avant de s’appuyer dessus de tout son poids en descendant de voiture), afin qu’ils prennent l’habitude de penser à la ligne de tir et à ce qui risque de leur faire perdre l’équilibre, l’adhérence ou la prise et afin qu’ils s’efforcent de découvrir ces états d’erreur.

 

Avoir recours aux observations de suivi

L’efficacité du processus de la sécurité axée sur le comportement augmente lorsqu’on forme les employés dès le début au « modèle d’états d’erreur » et aux techniques à utiliser pour réduire au minimum le risque de commettre une erreur critique. Le reste de la formation en sécurité se résume à persuader les employés qu’ils doivent s’habituer à penser à la ligne de tir et à tout ce qui risque de leur causer un déséquilibre, une perte d’adhérence ou une perte de prise et qu’ils doivent s’efforcer de découvrir ces éléments. En effet, s’ils ne regardent pas ce qu’ils font et s’ils n’y pensent pas, la formation la plus poussée du monde ne leur servira à rien.

On accroît l’efficacité des observations si on procède régulièrement à d’autres observations. Les comportements critiques se transforment beaucoup plus rapidement en bonnes habitudes car les travailleurs disposent des moyens d’agir sans tarder sur leurs comportements critiques. De cette manière, on élimine les frais élevés qu’entraîne la formation des effectifs qui doivent enseigner le principe de la sécurité axée sur le comportement et participer au processus. Les dépenses sont plus raisonnables, vu que l’on peut éliminer la plus grande partie des frais inhérents à l’embauche de conseillers pour lancer le processus.

La sécurité axée sur le comportement comporte à la fois des avantages incontestables et quelques inconvénients importants. En suivant les étapes décrites plus haut, on réduit les inconvénients au minimum et on maximise les avantages. Des industries qui auparavant étaient opposées à la sécurité axée sur le comportement, comme les chemins de fer et les usines d’assemblage, constatent aujourd’hui d’importantes améliorations. Ces nouvelles idées et nouvelles techniques permettront à un nombre croissant des sociétés d’améliorer leur rendement au point de vue de la sécurité – au travail et en dehors de celui-ci – en appliquant les principes de la sécurité axée sur le comportement.

 

Larry Wilson agit à titre de consultant en matière de sécurité axée sur le comportement depuis plus de vingt ans. Il intervient dans plus de 2 000 entreprises situées au Canada, aux États- Unis, au Mexique, en Amérique du Sud, dans les pays du bassin Pacifique et en Europe. M. Wilson est le principal auteur de SafeStart, un programme de formation de pointe à la sensibilisation à la sécurité, celui-ci utilisé par plus de 1 500 000 personnes, dans plus de 40 pays et en 25 langues.

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