Les Habitudes en sécurité
Formation, changements et renforcements des comportements-clés sécuritaires
Cet article de Tim Page-Bottorff, CSP, CET
a été publié au mois de février 2016 du Journal Professional Safety
Par définition, les professionnels en sécurité sont responsables du contrôle de l’exposition au risque. Par voie de conséquence, ils tendent à concentrer leurs efforts dans l’établissement de procédures, de solutions d’ingénierie et d’autres méthodes de contrôle conçues pour réduire le taux d’exposition aux risques, pour les employés. Au mieux, ces systèmes sont logiques, complets et fonctionnent comme une horloge suisse. Néanmoins, les personnes travaillant sous ces systèmes ne fonctionnent pas tout à fait de la même façon.
Les comportements des employés sont influencés par divers facteurs, certains d’entre eux pouvant compromettre leur performance et ce, même à l’intérieur d’un système prévu de sécurité. Peu importe combien ce système de sécurité est rigoureux, le comportement humain peut court-circuiter à peu près n’importe quelle fonction prévue de sécurité. De plus, nombreux règlements n’empêcheront pas ces fluctuations comportementales, parce que l’être humain est d’abord un humain et non pas un acteur rationnel à 100% de son temps.
Le rôle des habitudes sécuritaires
Comment les professionnels en santé et sécurité peuvent-ils encourager des comportements sécuritaires et plus constants? La clé réside dans le développement et le renforcement d’habitudes sécuritaires « critiques ». Les habitudes sont un élément inhérent des schèmes de pensée du cerveau. Elles permettent aux individus d’accomplir des comportements routiniers, sans avoir à prendre de décision, si petite soit-elle, à chacune des étapes de ce comportement. En fait, les recherches ont montré que les habitudes de vie représentent 40% du comportement humain (Société de la personnalité et de la psychologie sociale, 2014).1 Lorsque le thème des habitudes est discuté, les gens ont tendance à penser aux petits gestes routiniers et quotidiens, tels se brosser les dents le matin ou enclencher sa ceinture de sécurité au moment d’embarquer dans la voiture. Toutefois, il est plutôt facile de reconnaître combien les habitudes influencent nos comportements sécuritaires, en passant par enfiler son équipement de protection individuelle au début d’un quart de travail que de conserver une aire de travail propre et exempte de tout risque de trébuchements.
Plusieurs des actions quotidiennes sont basées sur des habitudes de vie, permettant ainsi de conserver la réflexion mentale pour des questions nécessitant plus de considération. Mais ce principe comporte toutefois des inconvénients. Plus spécifiquement, ces habitudes font en sorte que les personnes accomplissent des tâches et posent des gestes en mode « autopilote », alors qu’elles devraient être plus attentives à ce qu’elles font. De plus, certaines habitudes peuvent représenter une préoccupation immédiate dans le milieu de travail, plus particulièrement si une énergie dangereuse est présente. À titre d’exemple, se déplacer sans regarder où l’on va, pourrait avoir des conséquences désastreuses dans un atelier de travail.
Il est possible de se défaire de certaines habitudes en gardant entièrement sa tâche à l’esprit; ceci demande toutefois de la concentration – et les gens ne peuvent concentrer que sur un certain nombre de gestes à la fois. Les superviseurs en sécurité sont conscients de ceci par expérience. BLR (2015) a interrogé près de 1 300 professionnels de la sécurité en ce qui a trait aux glissades, aux trébuchements et aux chutes en milieu de travail. Bien que 85% des répondants croient fermement que faire des rappels auprès des employés en ce qui a trait à la façon sécuritaire de se déplacer de même qu’à l’entretien des lieux de travail améliore la performance en sécurité, la plupart s’entendent pour reconnaître que les bénéfices de ces rappels ne sont que temporaires.2 Éventuellement, dès que les employés portent leur attention sur autre chose, ils en reviennent à leurs « vieilles habitudes ».
Ceci pose un problème sérieux auprès des professionnels en santé et en sécurité au travail, compte tenu que la plupart des milieux de travail comportent de nombreuses distractions, celles-ci menaçant de dévier la concentration des travailleurs sur l’aspect sécuritaire de leurs tâches. De plus, la plupart des industries sont touchées par un facteur principal qui devient l’une des préoccupations majeures de tous les employés et secoue leur concentration vis-à-vis un comportement sécuritaire : stress.
Le stress peut se manifester sous différentes formes. La fatigue, par exemple, se veut une forme de stress physique et il peut devenir difficile de rester concentré lorsque l’on est fatigué. Au cours de périodes stressantes, telles la précipitation et la frustration, il devient plus facile de se tourner vers un contexte de routine. Une étude menée par des chercheurs de l’University of Southern California (2013) a montré que, lors de périodes stressantes, les personnes deviennent particulièrement enclines à retomber dans leurs vieilles habitudes.3
Les habitudes de vie fournissent des avantages limités dans le combat contre plusieurs facteurs humains; si les préoccupations de certains milieux de travail incluent des travailleurs se blessant sous l’effet de la précipitation, de la frustration ou de la fatigue, dans ce cas, l’équipe de professionnels de la santé et de la sécurité au travail de ce milieu de travail devrait considérer concentrer leur efforts d’amélioration en offrant de la formation traitant des facteurs humains. Cependant, il faut préciser que les habitudes peuvent aussi être un renfort de sécurité contre l’excès de confiance. Une équipe de professionnels de la santé et de la sécurité au travail peut offrir une formation traitant d’habiletés sécuritaires personnelles, celles-ci permettant de maintenir le focus et de combattre l’excès de confiance, mais malgré ceci, personne ne peut maintenir un focus à 100% du temps. De là, la nécessité critique d’avoir intégré de bonnes habitudes.
Établir de nouvelles habitudes
Bien des gens sont convaincus que les habitudes sont quelque chose de négatif (par exemple, manger excessivement, ronger ses ongles), mais les habitudes peuvent être positives aussi. À titre d’exemple, ranger ses clés de voiture toujours au même endroit chaque soir évite d’avoir à chercher celles-ci au moment de partir, le lendemain matin. Enfiler un casque de sécurité au moment de sortir d’un camion et chaque fois, incruste l’habitude de porter l’équipement de protection individuelle, même si on n’y a pas pensé de façon consciente.
Les gens peuvent tout aussi bien retomber dans une bonne habitude que dans une mauvaise. Dans un contexte de sécurité, améliorer les bases des comportements des travailleurs rendra ces derniers plus en sécurité et ce, lorsqu’ils seront le plus à risque. En tenant compte combien les habitudes régissent nos comportements quotidiens, la clé d’une amélioration maintenue de comportements sécuritaires réside dans l’établissement de meilleures habitudes. Mais ceci ne peut être accompli en une seule nuit.
Une croyance populaire veut qu’il faille 21 jours pour former une nouvelle habitude. Malheureusement, ce n’est pas tout à fait aussi simple que cela et il manque quelques éléments à cet adage. Une étude sur les changements d’habitudes a montré qu’il faut un minimum de 21 jours pour former une nouvelle habitude. Des recherches subséquentes ont confirmé que le scénario idéal de 21 jours se veut la base minimum pour y arriver et que la ligne médiane de la formation de nouvelles habitudes se situe à près de 66 jours (Lally, van Jaarsveld, Potts, et al., 2010).4
Le mot « minimum » est important. Il faut une période prolongée de renforcements versus la nouvelle habitude, avant que celle-ci ne devienne incrustée dans notre cerveau. L’une des meilleures façons d’éliminer une mauvaise habitude est de la remplacer par une nouvelle. Sur un plan physiologique, les habitudes sont comme une carte routière que le cerveau suit. Lorsqu’une personne remplace une habitude par une autre, le cerveau reconnecte les voies neurales de la vieille habitude, en inscrivant, littéralement, le nouveau circuit sur l’ancien. (Duhigg, 2012).5
L’une des implications de cette modification, et ce sans tenir compte qu’une personne doit « vraiment vouloir » changer d’habitude, si elle veut voir l’ancienne changer, est qu’une équipe de professionnels de la santé et de la sécurité au travail ne peut intimider ou effrayer les employés pour qu’ils changent d’habitudes. Prenant en considération qu’il faut en moyenne 10 semaines pour une personne, pour développer une nouvelle habitude, (et une bonne proportion de personnes ayant besoin de davantage de temps), pas un seul vidéo imagé ou d’histoires choquantes n’auront d’impact solide sur leurs comportements, au cours de la période requise pour l’établissement d’une nouvelle routine.Les communications négatives, les stratégies d’effroi basées sur des blessures passées, les engueulades peuvent corriger le comportement au moment de l’incident, mais leur effet sera de courte durée et aura disparu bien avant qu’une nouvelle habitude ait pu être mise en place. La pensée positive a démontré qu’elle peut augmenter l’habileté d’une personne à établir des habiletés personnelles (Fredrickson, Cohn, Coffey, et al., 2008) et les superviseurs qui adoptent une approche basée sur l’encouragement et le support vont vraisemblablement favoriser une meilleure formation de nouvelles habitudes.6
De nombreux efforts en sécurité tournent autour du besoin central de protéger les employés en contrôlant leur exposition aux risques. Mais, malgré le fait que de nombreuses industries ont pour but d’aider d’autres compagnies, en installant des barrières de protection qui empêchent les employés d’être en contact avec de la machinerie, peu d’emphase est placé pour ajuster le vaste éventail d’habitudes non-sécuritaires que les employés apportent avec eux dans leur milieu de travail, chaque jour.
Les prochaines étapes
Les recherches concernant les habitudes ne cessent de continuer et les études continuent de confirmer qu’une personne doit travailler sur ses habitudes pour changer son comportement. Peu importe le comportement qui nous préoccupe – que ce soit le travailleur qui oublie de porter son équipement de protection individuelle, à des blessures au bas du dos, parce que des mauvaises techniques de levage ont été employées – améliorer les habitudes est une partie essentielle de la solution. Tous les gens ont les habiletés de base nécessaires pour enfiler un casque de sécurité ou plier les genoux au moment de soulever une charge lourde. Ce qui est manquant, ce sont des façons de faire complètement intégrées qui permettront aux employés d’adopter les comportements requis dans un nouveau cadre d’habitudes.
Bien sûr, bâtir de nouvelles habitudes ne se fait pas tout seul, surtout lorsqu’on considère le temps requis pour bien « enraciner » une nouvelle habitude. Il faut de la patience et du travail, tant de la part des superviseurs que des employés, mais ces efforts en valent la peine. Rendre disponibles les outils pour construire de nouvelles habitudes, incluant une période de temps suffisante pour y travailler et de fréquents suivis pour analyser les progrès réalisés aideront les employés à garder le focus. Aussi, et parce qu’une approche conscientisée et positive joue un rôle majeur dans le processus de la création de nouvelles habitudes, les professionnels en santé et en sécurité au travail devront offrir du renforcement positif en réponse aux comportements désirés plutôt que de punir les employés lorsqu’une habitude à enrayer s’est de nouveau manifestée.
La motivation est également un moteur très puissant afin d’aider les employés qui travaillent à changer leurs habitudes; elle leur offre le « pourquoi » derrière cet investissement de temps à bâtir de nouvelles habitudes. Si les employés croient que leurs comportements sont suffisamment sécuritaires, ils pourraient questionner le besoin de les améliorer. Basée en fonction de l’expérience de l’auteur de ce texte, la motivation la plus efficace émerge de la vie personnelle des employés. Par conséquent, il faut s’efforcer de démontrer combien une habitude sécuritaire permet de bénéficier à la vie familiale, les activités personnelles, les loisirs et les activités sportives.
Chaque employé progressera à son rythme et plusieurs d’entre eux pourraient vivre de faux départs et des rechutes. Il faut se rappeler qu’ils sont à tenter de « réécrire » des façons de faire intégrer chez eux depuis longtemps. Avec de la persévérance, des renforcements positifs et des encouragements vers le but à atteindre, les professionnels en santé et en sécurité au travail pourront efficacement protéger les employés des lésions possibles en les influençant dans un élément qui a le plus d’importance : les habitudes quotidiennes.
Tim Page-Bottorff, CSP, CET a récemment été élu vice-président régional de la région ASSP II. Il est un consultant sénior chez SafeStart, ancien président du chapitre ASSP Arizona et un ancien membre de la Marine des États-Unis. À titre de formateur en santé et en sécurité au travail, il excelle à mettre en place des sessions de formation efficaces et participe très souvent, à des conférences nationales de sécurité, où il discute de formation et autres sujets traitant de sécurité.
Obtenez l’article original
Vous pouvez consulter ou télécharger la version originale publiée de l’article en PDF à l’aide du bouton ci-dessous.
1. Société de la personnalité et de la psychologie sociale (2014, Août #8). « How we form habits, change existing ones. ScienceDaily
2. BLR. (2015) « Understanding how human factors affect slips, trips and falls. Safety Daily Advisor
3. University of Southern California. (2013 Mai 27). Healthy habits die hard : in times of stress, people lean on established routines – even healthy ones. ScienceDaily.
4. Lally, P., van Jaarsveld, C.H.M. Potts, H.W.W., et al. (2010) How are habits formed: Modeling habit formation in the real world. European Journal of Social Psychology, 40(6), 998-1009.
5. Duhigg, C. (2012). The power of habit: Why we do what we do in life and business. New York, NY: Random House.
6. Fredrickson, B.L., Cohn, M.A., Coffey, K.A., et al. (2008). Open hearts build lives: Positive emotions, induced through loving-kindness meditation, build consequential personal resources Journal of Personality and Social Psychology, 95(5), 1045-1062.